Lunettes noires et canne blanche.

Gérald ATHANASE

Jean-Philippe n’a jamais porté de lunettes noires. C’est un fait. Et il n’utilise que très rarement sa canne blanche. Ses photos d’enfance comme d’adolescence, ci-contre, montrent que cela n’a rien d’étonnant ni de choquant.
Jean-Philippe enfant
Jean-Philippe adolescent

Ce serait qu’il lui prenne un jour l’envie d’en porter qui serait curieux ! Je lui ai demandé si cela s’inscrivait dans la volonté de son père de l’intégrer au maximum au monde des voyants : il ne s’en souvient pas. Mais force est de constater qu’il diffère, dans le monde occidental, de la grande majorité des aveugles, musiciens ou pas, qu’on repère de loin à leur panoplie lunettes noires et canne blanche (voire chien-guide). Question d’esthétique pour ces lunettes ? Mais demande-t-on au gens laids de porter un masque dans la rue ? Sensibilité au soleil ? Concernant ceux qui y sont le plus exposés quotidiennement, les agriculteurs, on ne les voit nulle part porter des lunettes de soleil !

Men-In-Black
Blues Brothers
A contrario, elles font partie de la panoplie des hommes de l’ombre, des « Men-in-Black » et autres Blues Brothers… serait-ce donc juste un accessoire de mode ? Et pourquoi pas un sac à main ?


On peut se poser plein de question sur ces lunettes d’ailleurs, concernant les aveugles de naissance : à quel âge leur offre-t-on leur première paire ? Est-ce que cela fait l’objet d’une cérémonie spéciale ? Autant, pour la canne blanche, on peut identifier la nécessité et la période d’apprentissage, autant pour ces lunettes, dont on a du mal à cerner l’utilité, seule l’habitude et l’absence d’esprit critique les font accepter comme une chose banale.
Lunettes noires

Sunglasses (cc) Mikehammond


D’autant que, comme le faisait remarquer son amie Fabienne en bas de la page « Pensées aveugles », en Afrique, où personne n’utilise cette panoplie, les aveugles sont invisibles, mais pas inexistants ! Ils remplacent la canne blanche, traditionnellement, par « le bras d’un ami », dans un contexte social où la solidarité est un maître mot autant qu’une nécessité, et dont Jean-Philippe explique la proximité de pensée avec la sienne dans sa page dédiée : Le bras d’un ami.

Et traditionnellement l’Afrique, qui est un foyer endémique de l’Onchocercose ou cécité des rivières, est largement concernée par cette question de la cécité, qu’elle traite, comme on le voit dans cette photo d’onchocerquiens marchant en file indienne guidés par des enfants, par une solidarité inter-générationnelle, les bâtons servant autant de lien de main à main que de soutien, et bien plus, dans tous les cas, que d’aide à la détection des obstacles qui ne concernerait, finalement, que ceux qui se déplacent seuls, sans l’aide d’amis ?

En étendant cette observation à l’ensemble de la planète, et la prévalence de la cécité étant nettement plus importante dans les pays du tiers-monde, on s’apercevrait que le choix de Jean-Philippe — dont les lunettes ne sont que la partie anecdotique et qui est, en fait, de lien avec le reste de l’humanité — est infiniment plus répandu que la conception orgueilleuse et égoïste qui prévaut chez nous.