Mélanges musicaux entre Afrique et Occident.


Ma prise de position un peu polémique à l’égard des producteurs de musique, dans la page qui précède, a provoqué de nombreuses réactions de lecteurs. J’ai choisi d’en isoler deux pour préciser ma pensée à ce sujet.

Dorothée, une lectrice, me faisait remarquer que le Super Étoile utilise largement les synthés et semble ne pas être victime de cette logique d’une « bonne musique Africaine » qui ne serait recevable qu’accompagnée d’instruments traditionnels.

J’adore évidemment le Super Étoile et son patron Youssou N’Dour avec qui j’ai collaboré et joué à de nombreuses reprises, mais je dois dire que c’est un cas à part. Sa notoriété lui permet de faire ce qu’il veut et de s’entourer de qui il veut. C’est un homme extrêmement ouvert et il a touché à tous les styles de musique. J’ai eu l’honneur de faire partie de cette formation en 1991 et 1993, lors de l’enregistrement de deux albums, et j’ai ressenti ce groupe comme une vraie fratrie.


On n’était évidemment pas d’accord sur tout, je lui reprochais, à l’époque, d’avoir inclus le morceau « Seven Seconds » (ci-contre) car ça n’avait rien à voir avec sa musique : heureusement qu’il ne m’a pas écouté !
D’ailleurs on entend à quel point c’est une excellent mélodie en écoutant les couplets chantés en wolof, et donc de son propre cru, dans un contexte musical qui n’était pourtant pas du tout le sien.

Rémi, un autre lecteur, proposait aussi des exemples contraires est évoquait la question de la spécificité musicale de chaque peuple.

En fait je parlais plutôt de projets dans lesquels j’étais moi-même au synthé, et qui ont rencontré le dédain des maisons de disques auxquelles ils avaient été proposés. On m’avait clairement fait comprendre que les sons électroniques que j’avais employés en étaient la cause. Je m’étais donc trompé en parlant de « producteur frileux », j’aurais dû dire plutôt « Maisons de disques frileuses (labels) », dans lesquelles certains décideurs pensent savoir mieux que tout le monde ce que les auditeurs ont envie d’entendre. C’est là que le bât blesse.

À propos de la spécificité musicale de chaque peuple, ce n’est plus vrai aujourd’hui. Et les exemples contraires en sont si nombreux que je ne peux en citer que quelques uns ici.

Moi qui ai l’avantage d’être aveugle, je pouvais reconnaître il y a une vingtaine d’années — donc « à l’aveugle ! » — si un djembé était joué par un « noir » ou par un « blanc » (ne pas y voir de connotation raciste : chacun sait que je ne sais même pas ce que ça veut dire, n’ayant jamais vu de peau noire ou blanche ! Comprendre : groupe ethnique !). Aujourd’hui, c’est quasiment impossible.


Des blancs sont allés faire leurs classes en Afrique, ils connaissent les codes et parlent même la langue du pays dans lequel ils ont choisi d’étudier leur instrument. Quand Julien André, par exemple, est au djembé (comme ci-contre avec Ibrahima Sarr, Burama Diabaté et Brahima Coulibaly), je défie quiconque, en fermant les yeux, de deviner la couleur de peau de celui qui joue. Pire, je connais des musiciens mandingues qui le préfèrent à d’autres musiciens de leur pays. Profitons-en pour donner le lien vers des initiatives pédagogiques récentes auxquelles il participe en Seine-St Denis.

Francis Bebey est un pianiste hors-pair qui connait toutes les ficelles de l’harmonie et est capable d’écrire pour orchestre. Le Kronos Quartet joue depuis des années des œuvres de compositeurs africains. Seulement, ça ne correspond pas à une certaine image (d’Épinal ?) et personne n’en entend parler, car ça ne va pas dans le sens des médias.

Khanzaï du Burkina-Faso, ou Pierre Arendengué du Gabon, écrivent de merveilleux textes en français, mais j’ai malheureusement entendu des français dire que cette langue n’était pas pour eux, et les média, toujours eux, de les accompagner, préférant du texte infantile chanté par de bons sauvages. Je ne citerai personne car certains d’entre eux sont des amis et parfois de bons musiciens aussi… Soupir. Et ce n’est d’ailleurs pas spécifique : si on voulait écouter du folk allemand ou du rap chinois, je suis sûr qu’on trouverait d’excellents exemples ! Il faudrait vraiment un grand coup de balai dans le business pour se débarrasser de ces clichés imbéciles, qui sont tout sauf des évidences.


Pour en revenir à Khanzaï et pour illustrer mon propos (d’une qualité de texte en français, de la part d’un africain, qui ne dénature en rien son « africanitude »), il a eu l’extrême gentillesse de m’autoriser à publier ci-contre une chanson, Ballon Sonde, extraite d’un travail en cours. Qu’il en soit vivement remercié !
Vous pouvez par ailleurs trouver sur YouTube d’autres titres plus anciens de sa composition, dont Là-bas Regarde, dont on m’a dit que les images qui accompagnent la chanson représentaient bien l’Afrique.
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Ballon Sonde (Khanzaï)
© Khanzai 2016, avec son aimable autorisation