La magie Jean-Philippe.

Gérald ATHANASE

J'ai fait la connaissance de Jean-Philippe à l'automne 1985. Nous faisions l'un et l'autre partie des cinq lauréats d'un concours de programmation du premier synthétiseur numérique grand public, le DX7 Yamaha Matos, concours dont le classement final et la remise des prix devaient être effectués par le public d'un mini-salon organisé par ce constructeur pour la promotion de ses instruments professionnels.

Celui qui me précédait était bon programmeur mais ne savait pas jouer. La présentation de mon son de piano valait ce qu'elle valait… Et juste après moi on amène, en le guidant, un garçon à l'immense tignasse rousse bouclée et au sourire éclatant, qui présentait un son de basse électrique riche, dynamique et innovant, qui, sous le nom de Superbass, a été largement employé ensuite dans tous les studios du monde. Et il savait en jouer à merveille, avec la délicatesse de toucher qui le caractérise, et pour laquelle il avait finement paramétré la réponse à la vélocité (une illustration sonore en est présente dans la page que nous avons consacrée au DX7).
DX7 Yamaha

J'étais fasciné ! Comment avait-il fait ? Le DX7 avait cette particularité d'être dépourvu de boutons saillants : sa surface de contrôle était dotée de touches à effleurement (à très faible enfoncement, en fait !). En plus du caractère particulièrement abstrait de son mode de programmation, et face aux difficultés que j'avais éprouvées moi-même pour maîtriser cette machine, j'étais complètement perplexe et interloqué.

Repéré moi-même à cette occasion pour les quelques compétences que cela illustrait, j'ai été embauché par Yamaha comme spécialiste des produits numériques, et nous avons donc eu l'occasion de nous croiser, avec Jean-Philippe, d'abord de manière accidentelle, de salons professionnels en magasins spécialisés, puis à travers des liens d'amitié plus personnels, reposant sur nos centre d'intérêt communs, techniques et musicaux, ainsi que sur des relations croisées.

Au fil de ces trente ans, Jean-Philippe a eu l'occasion, à de très nombreuses reprises, de me bluffer comme il l'avait fait le premier jour. Il lui arrive encore de le faire, mais il n'y a, en fait, rien de miraculeux : juste une grande efficacité, une bonne capacité d'adaptation, beaucoup de curiosité, une bonne mémoire et une absence de préjugés. Refusant (à juste titre) de se définir comme handicapé avant tout le reste de sa personnalité, il se dit très mauvais au maniement de la canne et médiocre brailleur, et compense par une qualité : l'excellence dans les relations humaines, l’amitié qui remplacerait la canne et presque les yeux.

Dans l'aide qu'on peut lui apporter ponctuellement, que ce soit pour la lecture d'un document ou un trajet dans la rue, le service n'est jamais à sens unique.


C'est un privilège que d'aider Jean-Philippe, car il sait faire en sorte qu'on reçoive bien plus qu'on ne donne. On connaîtra le manuel qu'on lui a lu, mille fois mieux qu'on ne l'aurait fait sans ses questions, ses demandes de précisions, et on appréciera la rue, son trottoir, ses obstacles, la description qu'on peut lui en faire, infiniment mieux que si on l'avait simplement parcourue sans y prêter attention, une sorte d’inversion de la séquence ci-contre où Amélie Poulain guide l’aveugle, ou une version plus équilibrée, de bénéfices réciproques.

Cette leçon de vie peut valoir pour des aveugles, bien sûr, mais elle est très générale et ne s'adresse pas qu'à eux. C'est une façon d'être à la fois originale et belle, qu'il m'a semblé utile de faire mieux connaître : elle représente un message d’espoir pour beaucoup de monde.