DX7 Yamaha.


Je me souviens avoir appris l’existence du DX7, par les commentaires des amis qui revenaient de la foire de Francfort (la Musikmesse !) où exceptionnellement je n’avais pas pu me rendre, comme je le faisais chaque année.
DX7 original

Il y avait mon ami Irouan le marabout, Frederick Rousseau (dont on reparlera) et d’autres, qui étaient tous sur un petit nuage, disant en chœur : « Yamaha vient de sortir un engin qui va tout révolutionner au niveau de la synthèse », avec en arrière-plan de ces éloges : « …révolutionner aussi et peut-être surtout au niveau de la musique en général ». Dans ce discours, la synthèse FM était donc loin d’être la caractéristique la plus importante ! Le fait qu’il s’agissait du premier synthé à seize voix de polyphonie apparaissait alors comme bien plus déterminant, ainsi que sa sensibilité à la vélocité (le clavier dynamique).
Je l’ai découvert physiquement dès qu’il est arrivé à Paris, je ne sais plus exactement où. Je sentais bien qu’il s’agissait d’un moteur de synthèse qui sonnait très différemment de tout ce qu’on avait entendu auparavant, et cela bien qu’il ait eu des précurseurs : les GS1 et GS2 qui avaient été popularisés par le groupe Toto dans leur plus célèbre album, Toto IV, et qu’on puisse déjà reconnaître certaines similarités. J’étais d’ailleurs très étonné d’entendre certains commentateurs dire qu’il sonnait moins bien que les GS1 et GS2 : ils devaient être trompés par le clavier léger du DX7 qui contrastait avec les claviers lourds de ses précurseurs. Car le générateur FM du DX7 était plus performant : 6 opérateurs au lieu de 4 (il y avait aussi le feedback, mais je ne le savais pas à l’époque !). Classiquement, la découverte de l’instrument passait par l’appel des programmes d’usine les uns après les autres, chaque nouveau son déclenchant des « ouah ! » d’admiration et d’étonnement, la différence étant vraiment très significative avec les synthés de l’époque…

J’ai donc craqué, j’en ai acheté un (j’ai sûrement été un des tout premiers), et une bonne âme - en l’occurence Dove - m’a recouvert le panneau de programmation d’étiquettes en braille qui me permettaient de m’y retrouver. Ce panneau était en effet constitué d’une surface parfaitement plate et lisse, sur laquelle les boutons était sérigraphies en vert (ils étaient en fait mécaniques mais à très faible enfoncement). Cette difficulté apparente avait rendu Gérald bien perplexe quand on s’était rencontré la première fois !
Panneau de programmation

Les boutons de programmation


Au niveau interface utilisateur, le DX7 allait à l’envers de tout ce qui existait jusqu’alors : la programmation se faisait par l’intermédiaire presque exclusif d’un seul curseur, le « data entry » qu’on déplaçait vers l’avant ou l’arrière après avoir sélectionné le paramètre désiré sur le panneau de programmation. J’ai toujours considéré cela comme une régression, car ils auraient tout aussi bien pu faire autrement et proposer des groupes de boutons « signifiants » associés à un système de pages qui auraient peut-être incité plus de monde à se pencher sur la programmation.
Data Entry

Le curseur « Data Entry »
(à droite du curseur de volume)


Gérald me souffle que cela aurait naturellement augmenté son prix, qui est resté plusieurs années un argument important par rapport à la concurrence. Mais la principale conséquence en était que si on voulait triturer le son en jouant, ce n’était pas gagné, l’affectation des différents contrôles proposés par l’appareil (molette de modulation, after-touch canal, breath control, pédale de modulation, switch…) ne pouvant couvrir les besoins expressifs « historiques » des amateurs de synthés !

En fait, contrairement aux anciens claviers où la technique d’apprentissage consistait à tester chaque bouton, et à écouter ce que cela donnait, pour en déduire, par essais et erreurs, qu’il aurait tel effet sur le son, avec le DX7 j’ai compris qu’il fallait procéder différemment et j’ai commencé par dévorer le mode d’emploi. Trop peu de gens l’ont fait, hélas, car c’est bien ainsi qu’on pouvait comprendre la FM et c’est ainsi que je l’ai apprise. Les algorithmes, dont le nom était fort mal choisi d’ailleurs, étaient en fait des modes de connexion des opérateurs entre eux (que j’aurais appelés « patchs » si on me l’avait demandé). Les sons résultant était considérés à l’époque comme très crédibles même si, avec le recul, les cuivres ou les violons du DX7 font aujourd’hui pâle figure face à d’autres synthèses ou à des instruments échantillonnés. En augmentant la puissance de synthèse, dans le TX 816 (constitué de 8 modules de DX7 en rack !), des créateurs comme Wally Badarou avaient d’ailleurs obtenu des résultats très sympathiques qu’on peut entendre sur son album Words of a mountain, sorti en 1989. David Bristow avait également réalisé de très beaux violons.

J’ai donc commencé à programmer des sons, sans vraiment savoir ce que je faisais malgré la lecture du mode d’emploi. Il y avait une part d’incertitude assez grande au début. Par exemple mon son Superbass, qui avait gagné le concours de programmation en 1985, était issu d’une recherche de son de saxophone ! En partant de la position de réinitialisation des sons « tous paramètres à zéro » (qu’on appelait « Voice Init ») comme je le faisait toujours, j’avais abouti à ce timbre improbable mais qui me plaisait beaucoup, et j’avais décidé de ne plus y toucher et de travailler sur les enveloppes pour obtenir une vraie attaque de basse.

Le résultat eût un certain succès et je vous en propose un exemple audio :

Superbass


Concernant d’autres aspects paradoxaux du DX7, j’ai déjà dit que son Breath Control (le contrôleur de souffle, que j’utilise tant sur le CS01) était beaucoup moins efficace que sur l’instrument analogique. Cela tenait au fait que sa résolution, dans la programmation du DX7, était de 128 pas, qu’on aurait pu penser être beaucoup mais qui se révélait en réalité très peu. Au final l’effet était rigolo mais malheureusement progressant en escaliers et pas très exploitable au plan musical.

J’ai créé plein de sons ensuite, et en bonne logique je me suis tourné vers le TX816 qui représentait, pour un budget somme toute raisonnable, une solution d’enregistrement multipistes doté d’une polyphonie très importante. Associé, à l’époque, au séquenceur qui lui était dédié, le QX1, j’ai réalisé avec lui beaucoup de choses et je n’ai pas été le seul ! Wally Badarou, entre autres, l’a beaucoup utilisé. David Bristow également, qui a tout défriché en la matière et de qui, hors le mode d’emploi, j’ai finalement tout appris.
TX-816

Le TX-816 Yamaha


David Bristow a été pendant de nombreuses années « le » démonstrateur mondial des synthétiseurs Yamaha, participant à leur conception et à leur évolution, en contact étroit avec John Chowning (créateur de la FM) et avec les ingénieurs de l’Ircam et de Yamaha au Japon.

Dans les deux bouts de vidéos ci-dessous (dont vous excuserez la mauvaise qualité s’agissant du sauvetage de vieilles VHS), on voit David faire une utilisation extensive du QX1 et du TX816.

Dans la vidéo de 1985, il le pilote en MIDI à partir du KX88, qui était un clavier-maître muet. Il ne vivait pas encore en France et son français limité était compensé par son inoubliable humour « british ». Pour la petite histoire, c’est à l’occasion de ce mini-salon au PLM St Jacques à Paris, que nous nous étions rencontrés pour la première fois avec Gérald, lauréats tous les deux du concours de programmation de DX7 qu’avait organisé Yamaha cette année-là, moi pour le son « superbass » dont je parlais ci-dessus, et Gérald pour un son de piano nommé GD PIANO 1.

La vidéo de 1987, a été tournée à l’Espace Cardin à l’occasion de la sortie du DX7II, version évoluée du DX7 dont David décrit (en anglais) la genèse puis les caractéristiques dans un « rap » à nouveau plein d’humour. La musique d’accompagnement met en œuvre deux TX816 et une RX5 pilotés par un QX1. Retour dans le passé, donc, il y a trente ans !

David Bristow, PLM St Jacques, automne 1985

David Bristow, Espace Cardin, 1987

Commentaires de Gérald : [Dans nos échanges avec Jean-Philippe sur le DX7 j’avais évoqué quelques idées qui lui ont semblé intéressantes, je vous les livre donc :

Malentendu - Dans le dialogue entre un créateur d’instrument et un instrumentiste, il y a beaucoup de non-dits. À l’époque des luthiers, il s’agissait surtout de respect mutuel, d’attention réciproque. En des temps plus actuels où la réalisation d’un synthé comme le DX7 nécessite des moyens humains, intellectuels, logistiques et industriels énormes, la donne a bien changé. Dans cette rencontre entre, en gros, des businessmen d’un côté, et des vedettes de l’autre, cette idée, jamais exprimée, occupe l’esprit des deux protagonistes en permanence : « sans moi vous ne seriez rien ! ».

Décalage temporel -
Dans ce dialogue, l’instrumentiste ne peut en effet parler que de l’existant : des instruments déjà commercialisés et de leurs fonctionnalités, des possibilités musicales qui leur sont liées, et des besoins qui sont les siens dans le cadre de ces genres musicaux actuels ou « historiques ». Son regard est tourné vers le passé, vers l’existant. Pour l’ingénieur en charge de la réalisation de nouveaux produits par contre, même l’instrument à peine en cours de commercialisation est une affaire terminée ! Son présent dépend d’un plan de production qui s’étend sur les quatre ou cinq ans à venir, lié à des progrès technologiques qui doivent rester secrets et dont vont naître les fonctionnalités des futurs instruments.

Décalage culturel - Ce décalage est à la fois linguistique, historique, et désormais professionnel : on ne peut demander à un ingénieur électronicien d’être en plus, et obligatoirement, un musicien de haut niveau ! Beaucoup de « loupés » peuvent résulter de simples erreurs de traduction ou d’une mauvaise compréhension de la nature musicale de telle ou telle demande.

Conjonction improbable - Le succès d’un instrument reste imprévisible, et son impact sur la musique tout autant ! Il faut des dizaines d’années pour qu’un style musical original puisse naître d’une utilisation (parfois paradoxale, excessive, détournée…) d’un Hammond B3 ou d’un Fender Rhodes, d’une guitare ou d’un « stick » Chapman ! Alors que ses concepteurs avaient certainement beaucoup compté sur les capacités de programmation novatrices et étendues du DX7, son succès a finalement reposé (comme l’indique fort bien Jean-Philippe ci-dessus) sur des critères bassement matériels de polyphonie, de sensibilité du clavier, et plus encore de copie parfaite (car numérique) des programmes de sons ! De fait, la plupart des utilisateurs de cet instrument ne l’ont jamais programmé, ils l’ont simplement utilisé comme un générateur de sons doté de très nombreux programmes qu’on pouvait appeler, copier et échanger instantanément.

PARADOXE ULTIME ! Si le DX7 n’avait produit qu’un seul son, mais de qualité et répondant à un besoin précis, il aurait pu avoir quand même du succès, et la meilleure preuve en est donnée par Jean-Philippe dans le merveilleux interview qu’il a fait de Habib Faye et que l’on peut entendre (ou dont on peut lire la retranscription) dans la page « Synthénégal » que nous lui avons consacrée. Un style musical pérenne, original, étendu à tout un pays dans ses aspects les plus populaires, issu d’un seul son de marimba du DX7 original ! C’est extraordinaire !]
Gérald identité